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Acte de cannibalisme en prison

L’administration pénitentiaire doit-elle être remise en cause ?

Le drame récent dans une prison de Rouen, lié à un acte de cannibalisme, remet une nouvelle fois en question la prise en charge d’individus potentiellement dangereux et souffrant de troubles psychiques.
L’avocat du détenu, meurtrier présumé, reproche à la maison d'arrêt d'avoir refusé le placement en isolement de son client.
Mais, on peut se demander si le vrai problème ne se situe pas dans le système lui-même. Depuis 1992, la pénalisation de l' « anormal mental » a été contestée pour des raisons liées à des considérations médicales. En effet, la situation des personnes en cause relève davantage d'un traitement thérapeutique que d'une incarcération. De plus, la détermination d'une durée fixe d'emprisonnement n'est pas forcément adaptée à une dangerosité qui peut persister au delà de la peine.

 

Rappel des faits

Le détenu, accusé d’acte de cannibalisme, est un homme de 35 ans qui purgeait une peine de cinq ans de prison pour viol avec violence.
Il souffrait de schizophrénie et était potentiellement dangereux.

La victime, âgée de 31 ans, a été retrouvée morte mercredi dans sa cellule avec une plaie au thorax. Il lui manquait une partie du poumon et des muscles intercostaux.
Une enquête est en cours pour déterminer les circonstances de ce drame, survenu en présence d'un troisième détenu, qui n'est pas intervenu.
Sur place, une casserole a été retrouvée. Le meurtrier présumé a déclaré aux enquêteurs qu'elle avait servi à cuisiner les organes sur un petit réchaud, notamment un morceau de coeur qu'il dit avoir consommé, a rapporté l'avocat.
Des expertises sont en cours afin de "vérifier si tout ce qu'il a dit est vrai", a-t-il dit.

De précédentes expertises psychiatriques avaient, selon lui, permis d'établir que l'homme souffrait de "schizophrénie" et présentait "des antécédents psychiatriques importants".
"Il était potentiellement dangereux. Il était capable d'être normal, mais dès qu'il y avait un évènement particulier, il était capable d'avoir des pulsions et de passer à l'acte", a dit l'avocat.

Il y a un an, à sa sortie d'une incarcération, ses parents adoptifs avaient adressé un courrier à la préfecture de Seine-maritime "pour le faire interner", a-t-il souligné.

Pénalisation et psychiatrie

Certaines écoles contemporaines de psychiatrie ont eu leur part dans la pénalisation des malades mentaux. Pour elles, le procès permettrait de « responsabiliser » les personnes atteintes de certaines formes de pathologies mentales et constituerait un élément de la thérapie.

La réorganisation des structures de prise en charge psychiatrique semble toutefois avoir joué un rôle déterminant sous l'effet conjugué, notamment de la mise à disposition de psychotropes actifs (neuroleptiques et antidépresseurs) et de la remise en cause de l'« hôpital-asile » comme lieu de soins.
Au cours des vingt dernières années, les grands hôpitaux psychiatriques ont laissé place à des petites unités au sein des villes. Le nombre de lits a connu une réduction drastique et la durée des séjours hospitaliers a beaucoup diminué.

Il est évident que le dispositif actuel ne répond pas de manière satisfaisante à la situation particulière des personnes dangereuses atteintes de troubles mentaux.

Les constats de la commission d'enquête sénatoriale sur les prisons conservent leur actualité : « paradoxe terrible, la réforme du code pénal et la nouvelle « pratique » des psychiatres ont abouti à un résultat inattendu : de plus en plus de malades mentaux sont aujourd'hui incarcérés.

Les psychiatres jouent aujourd'hui un rôle considérable dans le système judiciaire et pénitentiaire : ils peuvent établir l'irresponsabilité de l'accusé ; une fois emprisonné, ils donnent différents avis sur les placements en quartier disciplinaire et sur les hospitalisations d'office.
Pourtant, on constate la limite de ce système par la pluralité des diagnostics des psychiatres qui ne sont que rarement d’accord entre eux.

Les cas de cannibalisme sont très rares. Une autre affaire avait également défrayé la chronique par l’atrocité des faits mais également en mettant en cause les invraisemblances du système judiciaire français.

L’affaire du japonais anthropophage

Cette affaire s’est déroulée entre 1981 et 1984.
Au moment des faits, l’article 64 du code de procédure pénale datant de 1838 stipulait : « il n'y a ni crime, ni délit lorsque le prévenu est en état de démence au temps de l'action, ou lorsqu'il a été contraint par une force à laquelle il n'a pu résister ».

Cet article a été remanié. Le législateur de 1992 a introduit une double innovation avec notamment l'article 122-1 du nouveau code pénal.

Le samedi 13 juin 1981, des promeneurs découvrent dans le bois de Boulogne, à Paris, deux valises abandonnées qui contiennent le corps dépecé d'une jeune femme. La police identifie rapidement la victime : Renée Hartevelt, de nationalité néerlandaise; et elle arrête deux jours plus tard le présumé coupable, Issei Sagawa, un étudiant japonais de 32 ans, résidant à Paris, et qui passe aussitôt aux aveux.
Le meurtre est clairement celui d'un fou; mais rien, dans le passé d'Issei Sagawa, ne permet à priori de comprendre cette crise de démence aussi sanguinaire que brutale.

Issei Sagawa

Issei Sagawa

Sagawa tombe amoureux de Renée Hartevelt et l’invite un soir. Comme elle refuse ses avances, il la tue d'une balle de carabine 22 long rifle dans la tête.
Après le meurtre, Sagawa dépèce le corps de sa victime, enferme certains morceaux du cadavre dans son congélateur et enveloppe les autres dans du papier journal qu'il place dans les deux valises retrouvées au bois. Aux policiers qui l'interrogent, peu après son arrestation, il avoue avoir mangé quelques morceaux de viande.

Le criminel, maintenu en prison, attend son jugement. Il ne peut être accusé d'anthropophagie. En effet, le Code pénal français, dans un article sur les actes de barbarie, ne définit ce crime que lorsque l'ingestion de chair humaine s'est faite sur une personne encore en vie.

Mais le jugement d'Issei Sagawa n'a finalement pas lieu. Les psychiatres qui examinent le meurtrier le déclarent en effet irresponsable, diagnostiquant chez lui les séquelles d'une encéphalite intervenue lorsqu'il avait l'âge de un an et qui le rendent susceptible de graves crises de folie.
L’article 64, en vigueur à l’époque, s’applique dans son cas. En conséquence, la justice française abandonne toute charge contre le meurtrier de Renée Hartevelt, qu'une décision administrative fait interner à l'hôpital psychiatrique de Villejuif. Là, le jeune homme reprend une vie presque normale. Il continue à s'abandonner à sa passion pour la littérature.

En 1983, il publie même un roman inspiré par ses délires et le meurtre qu'il a accompli, intitulé Lettres de Sagawa. Cet ouvrage, aussi réaliste que macabre, reçoit, au Japon, la plus haute distinction littéraire de l'année, le prix Akatugawa...

Le 21 mai 1984, une décision du préfet de police de Paris autorise Issei Sagawa à quitter la France pour un établissement psychiatrique japonais. Mais, à l'hôpital psychiatrique de Tokyo, les psychiatres japonais n'ont pas sur ce cas le même point de vue que leurs homologues français. Ils ne retrouvent pas les traces d'anomalies au cerveau et ne peuvent diagnostiquer aucune véritable maladie mentale.
Comme, d'autre part, le comportement d'Issei Sagawa à l'hôpital est jugé « normal », la décision de relâcher le patient est prise. Le 13 août 1985, celui qui a dépecé et mangé quatre ans plus tôt la chair de Renée Hartevelt sort de l'hôpital pour être hébergé dans sa famille.
Depuis, il vit en liberté, bien tranquillement, au Japon.

Bilan sur les prisons en France

Le rapport de commission d'enquête n° 449 (1999-2000) de MM. Jean-Jacques HYEST et Guy-Pierre CABANEL, fait au nom de la commission d'enquête, déposé le 29 juin 2000 fait état d’un bilan déplorable sur les conditions de détention en France.

Il est important de bien souligner ces problèmes pour comprendre l’impossibilité actuelle de traiter comme on le devrait les criminels tenus pour irresponsables. Ce bilan s’est largement alourdi depuis et aucune solution n’a été apportée.

Vous pouvez retrouver l’intégralité de ce rapport sur le site du Sénat

En quelques chiffres, on peut appréhender la situation plus que déplorable :

  • La population carcérale en France a doublé de 1975 à 1995
  • Cette population carcérale diminue lentement mais seulement du fait d'un fort allongement de la durée des peines
  • En 1999, 23,6 % de la population carcérale est d'origine étrangère soit le quart de la population
  • Les délinquants sexuels, les malades mentaux et les toxicomanes représentent les trois principales composantes de la population des prisons françaises et posent de redoutables problèmes de gestion aux personnels pénitentiaires
  • Les " malades mentaux " représentent aujourd'hui près de 30 % de la population carcérale : une telle proportion s'explique principalement par une réforme du code pénal et par une évolution inquiétante de la psychiatrie en France

V.Battaglia (07.01.2007)

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