Évolution de l'art pariétal
La découverte de la grotte Chauvet, âgée d'environ 31 000 ans, a révolutionné notre connaissance de la préhistoire. Elle a aussi remis en cause bien des théories sur l'apparition de l'art.
Après la grotte de Lascaux, 17 000 ans, et la grotte Cosquer, 28 000 ans, la naissance de l'art remonte encore l'échelle du temps. Cette dernière découverte a laissé ébahis les préhistoriens du monde entier.
Peintures de la grotte Chauvet
À côté de nombreuses empreintes de mains et de signes abstraits, la grotte Chauvet recèle un extraordinaire bestiaire de près de trois cent cinquante animaux.
C'est sous la direction de Jean Clottes que la grotte est fouillée et étudiée depuis 1995. C'est grâce à lui que nos connaissances sur cette grotte ont pu être approfondies.
La datation ne fait plus aucun doute. En effet, la période de 32 000 à 29 000, durant l'Aurignacien, est attestée par les représentations de rhinocéros ainsi que par un aurochs qui galope, le cerf mégacéros et le grand bison. Des restes de charbons trouvés dans la grotte sont datés de cette même période.
Grotte Chauvet. Une troupe de rhinocéros. © dinosoria.com
Les bêtes dangereuses (mammouths et rhinocéros laineux principalement, ours des cavernes, lions, hyènes, panthères) sont les plus nombreuses, mais on trouve également des chevaux, des bisons, des rennes, des aurochs, des bouquetins, quelques cerfs et mégacéros - une espèce de cerf géant aujourd'hui éteinte - et même un hibou.
Cheval de la grotte Chauvet. © dinosoria.com
Il ne s'agit pas, cependant, d'une représentation réaliste de la nature, puisqu'il y manque de nombreuses espèces alors très courantes - lapins, renards, oiseaux...
Quant à l'homme, il n'est présent que sous la forme d'un être hybride, mi-homme, mi-bison, associé à la plus ancienne peinture murale connue représentant une femme nue. Comme de nombreuses autres peintures de la grotte, cette « Vénus » épouse la forme d'un rocher.
L'art de Chauvet se caractérise, en effet, par une utilisation parfaitement maîtrisée des reliefs des parois ; elle permet d'animer les peintures, de jouer avec la lumière, de proposer une mise en scène en perspective des animaux - telles les extraordinaires lionnes chassant en groupe, ou ce qui semble bien être une troupe de rhinocéros qui chargent.
Signification de ces peintures
Il est bien difficile de savoir quelle était la fonction de ces peintures, qui ne peuvent être reliées ni à des textes écrits ni à des témoignages oraux.
Mais quelques points paraissent établis. Ainsi, la grotte Chauvet a été peu fréquentée. Il ne s'agissait donc pas d'un sanctuaire destiné à un culte de masse. On n'y trouve guère que les traces des artistes eux-mêmes et les empreintes d'un enfant, peut-être accompagné d'un chien, qui remontent à 25 000 ans.
Les chevaux au galop de la grotte de Lascaux présentent un corps disproportionné par rapport aux pattes. © dinosoria.com
D'autre part, à Lascaux, dont la décoration a été réalisée 15 000 ans après celle de Chauvet, les panneaux principaux sont consacrés aux grands herbivores (aurochs, bisons, chevaux et un seul renne), qui sont souvent représentés en couples, alors que les carnivores sont relégués dans les diverticules de la grotte.
Une évolution de l'art remise en cause
La vieille idée que des millénaires ont été nécessaires à la gestation de l'art est dépassée. Les chercheurs, qui avaient cru jusque-là déceler une évolution dans la qualité artistique des peintures rupestres, ont admis que celles de la grotte Chauvet - les plus anciennes, donc - sont aussi parmi les plus élaborées.
Une des représentations de la salle des Taureaux à Lascaux. © dinosoria.com
Dessins naturalistes, détourage des animaux, jeux de perspective ou d'estompes révèlent une grande maîtrise artistique. Le talent de leurs auteurs était tel qu'ils savaient non seulement donner du relief à leurs créatures, mais aussi suggérer le mouvement.
Alors on s'interroge. De qui ces hommes tenaient-ils leur art ? En attendant la découverte d'autres musées enfouis, la question reste en suspens.
Énigmes non résolues
Dans le monde, on connaît à ce jour plus de deux cents grottes préhistoriques ornées ; 85 % d'entre elles se situent dans le sud de la France (surtout en Dordogne, dans le Lot, en Haute-Garonne) et dans le nord de l'Espagne. Cette extraordinaire concentration demeure une énigme. Est-elle due à la présence de cavités naturelles dans ces régions ?
Mais on en trouve ailleurs, qui n'ont pas été habitées ou décorées, par exemple dans les Alpes ou dans les Balkans.
Ces découvertes de grottes ornées concentrées sur un périmètre géographique, sont-elles dues à la stabilité du sol, qui a conservé les grottes intactes, alors que dans d'autres régions (par exemple l'Italie où on en trouve une dizaine), elles ont pu souffrir de l'érosion ou des séismes ?
Est-elle le vestige d'une civilisation spécifique à cette zone, alors que des groupes humains différents auraient choisi d'autres formes d'art, d'autres supports, comme les statuettes d'ivoire ? Ou bien s'agit-il du hasard des découvertes, l'Europe de l'Ouest étant parcourue par de nombreux spéléologues, ce qui n'est pas encore le cas de régions comme la Sibérie, où l'on a pourtant trouvé deux grottes de style voisin ?
Remise en cause de nos connaissances
Les découvertes successives des peintures d'Arcis-sur- Cure, dans l'Yonne, en 1990, de la grotte Cosquer, au bord de la Méditerranée, en 1991, et de la grotte Chauvet en Ardèche en 1994 ont totalement bouleversé nos connaissances.
Grotte Chauvet. © dinosoria.com
On sait aujourd'hui que l'art pariétal est bien plus ancien que ne le pensait Leroi-Gourhan : en utilisant la technique de datation au carbone 14, l'équipe de Jean Clottes a pu établir que les peintures de Chauvet remontaient à une période comprise entre - 30 000 ans et 28 000 ans. Cette datation a été confirmée en 2010.
Chauvet s'affirme ainsi comme la plus ancienne grotte ornée au monde et constitue une oeuvre d'autant plus inestimable qu'elle témoigne d'emblée d'un art en pleine possession de ses moyens. Plus surprenant encore : elle est de peu postérieure à l'arrivée de l'homme de Cro-Magnon en Europe, et elle aurait été décorée à une époque où il coexistait encore avec les Néandertaliens.
V.Battaglia (06.2004). M.à.J 11.2010
Références principales
Berceaux de l'humanité : Des origines à l'Age de bronze.Pascal Picq Sous la direction d'Yves Coppens. Larousse. 2003
Jean Clottes. La Grotte Chauvet : L'art des origines; Seuil 2001