Pourquoi des femmes à barbe ?
L'hypertrichose est le symptôme d'un dérèglement hormonal qui se manifeste dans le cas qui nous préoccupe par une pilosité envahissante sur une partie du corps.
Dans certains cas, le sujet est dans l’obligation de se raser plusieurs fois par jour. Dans notre société où le poil féminin est un ennemi à abattre, cet excès de pilosité est un véritable handicap social et professionnel.
Femme à barbe. By Anna Blume
Plusieurs cas de licenciements pour cause « de barbe “ont déjà été signalés.
Il n’existe, à ce jour, aucun médicament qui stoppe de manière définitive la pousse des poils. Par contre, des traitements endocriniens peuvent ralentir le phénomène.
L’épilation est bien sûr le moyen le plus couramment utilisé. Il serait d’ailleurs souhaitable que l’épilation définitive qui est très couteuse soit prise en charge dans les cas les plus handicapants.
Les femmes à barbe dans l’histoire
Dans son excellent ouvrage intitulé Les Monstres. Histoire encyclopédique des phénomènes humains, Martin Monestier cite Hatchepsout, reine d’Égypte.
Cependant, à ma connaissance, Hatchepsout, n’a jamais eu de barbe dans le sens propre du terme.
Hatchepsout. Musée National Alexandrie. By Gérard Ducher
Par contre, cette reine de la XVIIIe dynastie s’est attribué toutes les prérogatives du pharaon, allant jusqu’à se faire représenter en homme.
En 1483, elle passe du rang de régente à celui de pharaon. À cette occasion, elle se dépouille de ses vêtements féminins et prend les attributs d’un souverain mâle, dont la fameuse barbe postiche.
De même, l’auteur cite Marguerite d’Autriche, duchesse de Parme qui était la fille naturelle de Charles Quint.
Mais, je n’ai trouvé aucune représentation de cette femme avec une barbe, ni aucune mention dans les biographies concernant une éventuelle barbe.
By Anna Blume
Concernant sa référence à la ‘Vierge à barbe’ ou Sainte Wilgeforte dont on peut admirer des représentations notamment dans l'église Saint-Étienne de Beauvais et dans l'église de Wissant, il est acquis aujourd’hui qu’elle n’a jamais existé.
Par contre, il est vrai que les cours royales et princières abritaient des femmes à barbe de même que des nains.
On sait que les puissants d’autrefois aimaient s’entourer de gens ‘différents’ comme on s’entoure d’objets rares et donc précieux.
Les femmes à barbe célèbres
Au XIXe siècle ainsi qu’au début du XXe siècle, ceux que l’on appelait communément des ‘monstres’ n’avaient d’autre solution pour survivre que de s’exhiber dans des foires et des cirques.
La femme à barbe était une curiosité que chaque foire se devait de montrer. Ce type d’exhibition existait déjà depuis le XVIe siècle.
Delina Rossa. By Anna Blume
Plusieurs femmes sont ainsi devenues célèbres. On peut citer Augusta Urstein alias Barbara, vedette du XVIIe siècle, dont le visage était presque en totalité recouvert de longs poils. Elle était présentée sous le terme de ‘chien irlandais’.
Augusta Urstein alias Barbara. Vers 1654
Au XIXe siècle, la star du Phineas Taylor Barnum se nomme Joséphine Boisdechêne alias Clofullia qui a 8 ans avait déjà une barbe de 5 cm.
Vedette internationale, elle s’est exhibée dans le monde entier. Elle a d’ailleurs eu un fils qui présentait, dès son plus jeune âge, une pilosité importante.
Clofullia, vers 1865. Syracuse University Library
Une autre vedette du Barnum s’appelle Annie Jones (1865 - 1902). Cédée par ses parents au cirque, moyennant une rétribution, dès 4 ans, l’enfant a remporté un grand succès.
Elle a d’ailleurs fait l’objet de plusieurs tentatives de kidnapping, dont une qui a réussi alors qu’elle a à peine 5 ans.
Annie Jones est devenue une vedette internationale. Mariée à deux reprises, elle a rencontré tous les rois, les empereurs et les tsars avant de mourir à l’âge de 38 ans de la tuberculose.
Annie Jones. Museum City of New York
Clémentine Delait (1865-1939) est la plus célèbre femme à barbe. Elle ne s’exhibait pas dans des foires, mais était tenancière de café dans les Vosges (France).
Au départ, elle se faisait raser par le coiffeur, ne conservant qu’une petite moustache, et déjà sa pilosité attirait la clientèle. Suite à un pari, elle se laissa pousser la barbe définitivement.
Elle s’illustra pendant la Première Guerre mondiale en tant que bénévole au sein de la Croix-Rouge. Le couple adopta d’ailleurs une jeune orpheline de la Grande Guerre.
Clémentine Delait. Carte postale. By Anna Blume
Clémentine Delait est devenue une véritable célébrité nationale. Elle a reçu en 1904 une autorisation ministérielle exceptionnelle qui l’autorisait à porter des vêtements masculins. Elle était surnommée ‘la fée à barbe’.
À la mort de son mari, elle décide d’accepter la proposition de Barnum et de partir en tournée afin que sa fille puisse connaître le monde.
Cette femme possédait un charisme évident. Idolâtrée de son vivant, des milliers de cartes postales ont été conçues à son effigie. Des hommes se sont même fait tatouer son visage sur le bras ou la poitrine.
Un musée de la Femme à barbe a été construit dans son village natal de Thaon-les-Vosges afin de lui rendre hommage.
Clémentine Delait. Carte postale. By Anna Blume
À côté de ces célébrités, beaucoup d’anonymes et de femmes exhibées sans vergogne dans des foires ont eu un destin beaucoup moins heureux. Exploitées par leurs agents, la grande majorité a fini dans la pauvreté.
Freaks, la monstrueuse parade
Difficile de parler des femmes à barbe et autres monstres de foire sans mentionner le film de Tod Browning, tourné en 1932.
Freaks, la monstrueuse parade est un petit chef-d’œuvre qui met en scène des êtres difformes qui sont exhibés dans un cirque.
Bouleversant et émouvant, ce film très controversé à sa sortie dépeint un univers dans lequel la ‘différence’ est un standard et où l’être dit ‘normal’ est considéré comme une curiosité.
Affiche de Freaks
L’être normal est joué par une trapéziste prénommée Cléopâtre, d’une grande beauté, qui va semer la zizanie dans ce petit monde.
Hans, le lilliputien tombe amoureux de cette femme au grand désespoir de sa fiancée naine Frieda.
Hans, le lilliputien amoureux de la belle Cléopâtre
Le mythe de la Belle et la Bête est ici repris. La Belle se moque de cet amour jusqu’au jour où elle apprend que son soupirant a hérité d’une coquette somme.
Par avidité, elle accepte donc de l’épouser tout en fomentant un complot avec son amant, Hercule, ayant pour but d’éliminer le lilliputien.
Les amis de Hans, Joseph/Joséphine, à la fois homme et femme, les sœurs siamoises, l’homme-tronc, la femme-oiseau et la femme à barbe, apprennent les noirs desseins de la trapéziste et décident de venger leur ami.
Les amis de la femme à barbe alors qu'elle vient d'accoucher
Les ‘Freaks’ vont mettre en œuvre un plan diabolique. La scène finale est grandiose, mais aussi terriblement angoissante.
Transformée à son tour en ‘monstre’ Cléopâtre apparaît sur la dernière image avec un corps mi-femme, mi-animal.
La beauté de Cléopâtre n’était que superficielle et à travers cette transformation cauchemardesque, c’est toute sa méchanceté et sa monstruosité qui deviennent apparentes. Car, comme vous le savez, les monstres ne sont pas toujours ceux que l’on croit.
Ceux qui ont vu Elephant Man de David Lynch pourront faire le rapprochement.
Il est à préciser que les acteurs sont pour la plupart des vedettes des shows de l’époque. Ils jouent leur propre rôle. Malheureusement, le film a fait l’objet de nombreuses coupures de la part de la Metro Goldwyn Mayer qui ne souhaitait pas que les aspects de la vie quotidienne de ces gens soient filmés.
Autre point à souligner. Une cantine spéciale a été construite pour les Freaks pendant le tournage, car les acteurs et techniciens ‘normaux’ se sont plaints à la direction.
Femme à barbe anonyme. By Anna Blume
Dans le même ordre d’idée, je me souviens d’un épisode de la Quatrième dimension qui a pour trame un monde où le monstre est un standard de beauté. Les êtres humains normaux sont condamnés à vivre sur une île, car trop hideux pour être admis au sein de cette société.
Car, en définitive, qui décide de ce qui est beau ou non ? Qui sont ces gens qui nous imposent un standard difficilement accessible ?
Le marché de la beauté s’élève à des dizaines de milliards de dollars, pour le plus grand bonheur des laboratoires pharmaceutiques et autres vendeurs de rêves, mais pour le plus grand malheur de la majorité des gens.
Ce dossier est un hommage à tous ceux qui sont ‘différents », mais qui ont, eux aussi, le droit de vivre en pleine lumière.
V. Battaglia (03.09.2008)
Références et lien
Stéphane Audeguy, Les Monstres, si loin et si proches. Culture et Société Gallimard 2007
Martin Monestier, Les Monstres, Histoire encyclopédique des phénomènes humains. Le Cherche Midi 2007
Freaks en VO sur Google Video (Gratuit). Durée 64 mn