Le Cheval: Caudectomie Caudectomie est un nom aussi barbare que la pratique qu’il désigne puisqu’il s’agit de l'écourtage ou de l’ablation de la queue des animaux domestiques. Bien que ce dossier concerne ici l’histoire de la pratique sur les chevaux, elle a longtemps été associée aux chiens, et touche toujours les porcs et les moutons en raison de comportements inhabituels observés chez ces animaux dans les élevages modernes. Article de Amélie / Tsaag Valren |
Les représentations de chevaux (notamment de trait) permettent d’avoir une idée des époques où cette pratique s’est généralisée, mais pas vraiment de savoir quand ou pourquoi elle a commencé. Une chose est sûre : la caudectomie fut très fréquente sur les chevaux des aristocrates anglais durant tout le XVIIIe siècle. Faire couper la queue de leurs chevaux de prix permettait de distinguer ceux-ci des montures des roturiers et les représentations de chevaux anglais (notamment les fondateurs de la race du pur-sang) à la queue écourtée abondent. Peut-être que les propriétaires équins voyaient aussi dans cette pratique un moyen de faire gagner quelques précieuses secondes à leur cheval sur les champs de courses en leur ôtant un poids « inutile ». Le pur-sang Herod et son jockey, peinture du XVIIle . Licence L’élevage du pur-sang connut un succès qui dépassa bien vite les frontières de son pays natal, et la coupe de la queue a pu s’étendre aux pays voisins comme la France et la Belgique. Avec les révolutions successives et l’abolition des privilèges, la pratique de la caudectomie ne fut plus limitée aux seuls nobles et aristocrates. Couper la queue des chevaux permettait alors aux gens du peuple de paraître plus riches. Mais c’est surtout dans le domaine de l’attelage que la caudectomie équine fut le plus largement pratiquée. La plupart des races de chevaux de trait telles que nous les connaissons, ces animaux puissants et musclés aux jambes couvertes de longs poils (les fanons), furent formées dès la fin du XVIIe siècle non pas pour les travaux agricoles comme on pourrait le croire, mais plutôt pour tirer les énormes chariots d’artilleries sur les champs de bataille. L’armée était alors le premier « demandeur » et surtout le plus gros « consommateur » de chevaux, et nombre de gouvernement encouragèrent la sélection d’une cavalerie puissante et de qualité en distribuant des primes aux éleveurs (c’est le cas notamment en Allemagne). Cheval de selle bai par George Stubb, en 1786. Licence La caudectomie fut généralisée chez les chevaux destinés à la traction au XVIIIe afin que « leur queue ne se coince pas entre les harnais » et que « le cocher ne soit pas fouetté par la queue de son cheval ». Rapidement, elle devint une tradition voire un standard d’élevage. Cependant, tous les éleveurs ne la pratiquaient pas, certains préférant natter l’appendice ou l’attacher, la principale raison de ces réticences étant une grande perte d’élégance chez ces animaux. Les chevaux de trait moins chanceux subirent l’ablation quasi totale de leur queue par sectionnement des vertèbres. Après une telle opération, elle ne peut plus jamais repousser. L’opération avait généralement lieu peu après la naissance du poulain, lorsque les os sont encore fins. La queue de l’animal était alors introduite dans un appareil fonctionnant plus ou moins comme une guillotine, une lame passait entre deux vertèbres en coupant la queue net. A la fin du XIXe, Anna Sewell, l’auteure anglaise du tout premier roman animalier (Black Beauty) fut l’une des premières voix reconnues à s’opposer à la caudectomie par le biais de son célèbre roman pour la jeunesse où un cheval se demande si « Les humains couperaient les oreilles de leurs enfants en pointe pour leur donner l’air plus intelligents ». Peinture de Georges Stubb, 1793, montrant des chevaux d'attelage. Licence Elle décrit aussi le calvaire d’un vieil animal de trait condamné à demander à ses compagnons de pré de chasser les insectes pour lui. La queue n’est pas qu’un chasse-mouches très pratique pour le cheval (et d’autres mammifères), elle lui sert également à réguler la chaleur de son corps et à exprimer ses émotions. Les récentes découvertes des éthologues prouvent aussi que les chevaux communiquent principalement par le langage du corps. Couper leur queue est pour eux une véritable mutilation, et il est évident que ces animaux ne naitraient pas pourvus d’un tel appendice s’il leur était d’aucune utilité. Black Beauty. Licence N’oublions pas ce que pouvait représenter le sectionnement des vertèbres à une époque où le rationalisme voulait que les animaux ne puissent pas ressentir la douleur. De plus, les recherches vétérinaires effectuées ces dernières années prouvent qu’une caudectomie mal réalisée peut provoquer des infections, des névromes, voire une douleur fantôme chez le cheval. Lorsqu’on sait quelles étaient les conditions d’hygiène à l’époque, on a peine à imaginer le sort des chevaux de trait… La coupe des crins du cheval sans toucher aux vertèbres n’est pas considérée comme une caudectomie. Les crins peuvent toujours repousser, et leur coupe ne provoque aucune douleur, un peu comme lorsque nous allons chez le coiffeur. Au début du XXe siècle, la pratique de la caudectomie semble cesser chez les chevaux de course, et ne concerner désormais que les chevaux de traction. Dans les années 50, alors que l’armée avait définitivement cessé de s’approvisionner en chevaux de trait, les agriculteurs s’équipèrent peu à peu à leur tour de tracteurs et les demandes de chevaux de trait cessèrent presque complètement. Photographie de la série Animal locomotion de Muybridge. Les crins de la queue du cheval sont coupés, mais les vertèbres sont intactes. Les crins peuvent repousser. Licence Des années 1970 à 1985, l'hippophagie, c'est-à-dire la consommation de viande de cheval, fut encouragée en France pour soutenir les éleveurs de chevaux de trait dans leur difficile reconversion. Paradoxalement, la transformation de ce noble animal en « bête à viande de boucherie » permit de conserver la diversité des races de trait françaises, qui auraient autrement disparu faute de demande... (Nous avons 9 races de chevaux de trait en France, soit le plus grand nombre de races tous pays confondus). La caudectomie continua néanmoins à être pratiquée pour mettre la masse de l’animal et sa croupe en valeur avant sa revente « au couteau »… Les éleveurs de chevaux de trait firent perdurer la pratique par tradition et vers la fin des années 1980, des voix contestataires s’élevèrent à nouveau. Nous étions alors en plein renouveau de l’équitation de loisir et notamment d’attelage de compétition. Un créneau s’ouvrait pour le cheval de trait, appelé à retrouver le noble statut qui fut été le sien avant la mécanisation. Or, les éleveurs « de boucherie » coupaient la queue de leurs poulains tellement ras que les cavaliers de loisir ne pouvaient même plus passer la croupière, une pièce de harnachement qui se place normalement sous la queue du cheval. Cheval de trait ardennais, une race franco-belge. Photo de Jean-pol Grandmont . Licence En France, les cavaliers de loisirs durent se battre durant des années pour obtenir simplement que les éleveurs de chevaux de trait laissent une vertèbre de plus à leurs poulains ! Ce sont les belges qui, via une loi relative à la protection et au bien-être des animaux votée le 14 août 1986, firent le premier pas en faveur du cheval de trait. Cette loi interdit « d'infliger des lésions corporelles inutiles aux animaux », ce qui inclut la caudectomie, la coupe de la queue, et l’oroctomie, la coupe des oreilles chez les chiens par exemple. Les éleveurs de chevaux de trait belges refusèrent cette loi et bataillèrent un temps contre leur gouvernement en trouvant toutes sortes de justifications à la pratique de la caudectomie. Selon eux, elle n’était pas inutile puisqu’elle permettrait d'éviter les maladies causées par les mouches, ainsi que la gale et la diarrhée chez leurs chevaux. Ces théories ne furent, bien évidemment, créditées par aucune recherche scientifique. Il est difficile de lutter contre la tradition, mais n’oublions pas que la « tradition » soutient l’existence de « divertissements » tels que la corrida ou la « rapa das bestas ». Certains de ces éleveurs belges contournèrent la loi en emmenant leurs chevaux derrière la frontière française pour les faire amputer, puis en revenant dans leur pays avec une attestation d'importation en bonne et due forme. Le manque à gagner et l’interdiction de revente des chevaux amputés eurent raisons des dernières réticences. Les poulains de trait nés en France après janvier 1996, comme ce breton, peuvent à nouveau profiter de leur beau panache. By Abujoy . Licence En janvier 1996, soit dix ans après les belges, une loi française interdisit la pratique de la caudectomie chez toutes les races équines nées sur le sol français. Elle interdisit également la revente ainsi que la participation de chevaux aux manifestations officielles s'ils ont la queue coupée et sont nés après la mise en vigueur de la loi. Pour les chiens, il fallut attendre une décennie de plus. Nos voisins belges furent plus courageux que nous ! Pour autant, l’histoire de la caudectomie équine ne s’arrête pas ici, car outre atlantique, elle continue à perdurer, assortie d’autres pratiques pour le moins douteuses. La caudectomie équine au canada et aux Etats-Unis Dans ces deux pays, la caudectomie continue à être légale, bien que fortement contestée. Aux États-Unis, la seule race de chevaux de trait dont la queue n’est pas écourtée est l’American cream draft. Toutes les autres subissent cette mutilation d’un autre âge, à commencer par leurs fameux percherons noirs. Il existe plusieurs formes de caudectomie outre-atlantique, dont une qui s’applique presque exclusivement à la race de l’american saddlebred, ou « cheval de selle américain ». La première forme de caudectomie est pratiquée sur les chevaux de trait, et consiste à sectionner complètement les dernières vertèbres caudales pour retirer la queue en entier, comme cela se fit en France jusqu’en 1996. Il en existe une autre nommée le bloc de la queue. Elle consiste à modifier chimiquement l’approvisionnement nerveux de la queue du cheval, pour créer l’effet d’une queue plus plate ou plus relevée, elle est réalisée en sectionnant un nerf ou en brisant une vertèbre. Cette pratique est en grande partie responsable de l’étonnant port de queue de la race American saddlebred. Un american saddlebred, race dont le port de queue est très souvent modifié artificiellement. By Just chaos . Licence Elle ne peut normalement être réalisée que par un vétérinaire compétent et un certain nombre d’associations vétérinaires s’y opposent. Ainsi, l’ACMV, association vétérinaire canadienne, dit que « les interventions de bloc et d’incision de la queue sont des interventions vétérinaires qui trahissent la confiance du public envers la profession, car elles utilisent des connaissances inhérentes à l’exercice de la médecine vétérinaire afin de donner une fausse impression de la qualité d’un animal individuel. Les traditions de longue date ne sont pas nécessairement dans le meilleur intérêt des animaux et en facilitant la tromperie dans la piste d’équitation, les vétérinaires agissent contrairement au code professionnel ». Percheron américain, dont la queue est toujours traditionnellement écourtée après la naissance. Licence Toutefois, cette opération reste légale, et l’appât du gain est tentant pour certains vétérinaires peu regardants. Des arguments qui rappellent étonnamment ceux des éleveurs de traits belges en 1986, et qui bien évidemment ne sont pas corroborés par la plupart des études vétérinaires. Amélie / Tsaag Valren (Tsaag.free.fr). 29.07.2009 Sources Nebergall S.A. How to perform surgical tail docking in draft horses, Proceeding Amer Assn Equine Pract, 1999, vol. 45, p. 113-114. < Cheval |