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Les émeutes de Soweto
Apartheid
Le 16 juin 1976, le soulèvement des populations noires à Soweto, en Afrique du Sud, marque le début d’une révolte générale des Noirs contre l’apartheid, mot afrikaans qui désigne la « séparation » raciale.
Il faudra cependant encore 17 ans de luttes avant que les populations blanches décident de renoncer à leur système de ségrégation et d’admettre la démocratie en Afrique du Sud.
Les émeutes raciales à Soweto, principale ville noire de la banlieue de Johannesburg, feront 23 morts et plus de 200 blessés. Ces émeutes vont s'étendre à de nombreuses villes noires, et le bilan officiel de six jours de manifestations s'établira à 140 morts et 1 128 blessés.
L’origine des émeutes de Soweto
En mars 1976, le gouvernement blanc décide d’imposer sa langue, l’afrikaans, au lieu de l’anglais, comme langue d’enseignement dans toutes les écoles.
Pour les populations noires, cette mesure est vécue comme une nouvelle atteinte à la liberté. En effet, l’afrikaans est issu du néerlandais, la langue d’Etat des Blancs, l’instrument symbolique de leur domination.
A Soweto, le 4 juin 1976, 2 000 écoliers se mettent en grève pour protester. Le 16 juin, un défilé de collégiens portant des banderoles avec l’inscription « A bas l’afrikaans » refuse de se disperser.
La police ouvre alors le feu sur ces gosses désarmés et un écolier de 13 ans est tué.
A Soweto, une affiche est là pour rappeler la mort du petit Hector Pieterson, la première victime des émeutes. By Thomas Sly
Cet acte de barbarie stupide marquera le début d’une année de violence à Soweto.
Les émeutes à Soweto
Dans les deux jours qui suivent la mort de l’écolier, plus de 60 voitures sont brûlées et de nombreux autobus détruits.
Les manifestants mettent systématiquement le feu aux écoles de la ville. La plupart des bâtiments publics sont mis à sac.
Par vagues successives, des hélicoptères de la police passent au-dessus de la foule déchaînée et lâchent des grenades lacrymogènes.
Dans les rues, les blindés des forces de l’ordre ouvrent le feu sur les manifestants. Soweto est en état de siège et ressemble à une ville bombardée.
Progressivement, les émeutes s’étendent à d’autres agglomérations peuplées de Noirs : Alexandri, Kagiso et Zoulouland.
Plus d’une année durant, la révolte ensanglante les cités noires du pays. Selon les autorités, le bilan de cette année de révolte serait de 575 morts mais en réalité il y en a eu certainement beaucoup plus.
L’apartheid en Afrique du Sud
Il est évident que les émeutes de Soweto ont symbolisé le ras de bol des populations noires face aux lois oppressives et humiliantes mises en place depuis 1950.
La classification en groupes raciaux existe en Afrique du Sud depuis les premiers jours de la colonisation européenne mais c’est le Population Registration Act qui en établit officiellement le principe en 1950.
Quartier pauvre de Soweto en 1999. By Eugene
Cette reconnaissance de la ségrégation raciale est arrivée quatre ans après la venue au pouvoir du Parti national unifié, un parti blanc d’inspiration nazie.
Désormais, la loi impose à tous les Sud-africains, la possession d’un livret d’identité, le référence book, faisant mention de leur race.
A la même date, le Group Areas Act assigne à chaque Sud-africain une zone d’habitat déterminée par sa couleur.
A partir de 1953, l’enseignement est régi par le cadre de l’apartheid. L’école des Non-Blancs (gens de couleur et métis) doit instituer la ségrégation et surtout dispenser un enseignement très limité.
Entre 1949 et 1956, la législation du travail a renforcé l’impossibilité pour les Non-Blancs d’accéder aux postes à responsabilité ou les mieux rétribués.
Face à ses lois de plus en plus ségrégationnistes, l’ANC, principal parti représentant les Noirs, répond par des campagnes non violentes.
C’est lors de l’une de ses campagnes que le jeune chef de parti Nelson Mandela est condamné une première fois à 9 mois de prison avec sursis.
Constatant que les actions pacifiques n’ont aucune efficacité, Mandela se lance dans l’organisation clandestine de l’ANC.
Statue de Nelson Mandela en Afrique du Sud. By Srippon
Le 16 décembre 1961, Il créé la branche armée de l’ANC. Arrêté l’année suivante, il restera 27 ans derrière les barreaux. Il devient le symbole de la lutte contre l’apartheid.
La lente marche vers l'abolition de l'apartheid
Les émeutes de Soweto ont marqué le véritable réveil de l’esprit de résistance face à l’apartheid.
A partir de 1983, les Noirs des ghettos multiplient les actions de boycottage des institutions administratives et des services municipaux.
La violence se développe rapidement dans tout le pays. La communauté internationale tente alors d’infléchir la politique du gouvernement.
Le 31 janvier 1986, le président Pieter Botha annonce, devant le Parlement du Cap, la prochaine suppression des laissez passer pour les Noirs et affirme que l'apartheid est un " concept périmé ".
Le 19 mai 1986, l'armée sud africaine lance trois opérations de commando contre les " bases terroristes " de l'ANC à Gaborone (Botswana), ainsi que, pour la première fois, à Harare (Zimbabwe) et à Lusaka (Zambie).
Nelson Mandela sera élu Président de l' Afrique du Sud le 10 mai 1994. Ici, avec Frederik de Klerk en 1992. By World Economic Forum
Le 12 juin 1986, l'état d'urgence est instauré sur l'ensemble du territoire. Un sévère contrôle gouvernemental est imposé à la presse sud africaine et étrangère. Les cités noires sont soumises à un quadrillage policier sans précédent pour empêcher toute manifestation à l'occasion du dixième anniversaire des émeutes de Soweto mais la grève générale, à l'appel d'organisations anti- apartheid et de syndicats, est très suivie.
Le 16 septembre 1986, les ministres des affaires étrangères des Douze décident la mise en oeuvre des sanctions économiques communes limitées contre l'Afrique du Sud.
En 1986, les violences ont fait 1 300 morts en onze mois.
Le 6 mai 1987, aux élections à la Chambre blanche du Parlement tricaméral, réservées aux Blancs, 82 % des voix vont à la droite : le Parti national, au pouvoir depuis 1945, progresse avec 123 des 166 sièges.
1988 : Quatorze condamnés à mort, dont douze Noirs, sont pendus, le 25 et le 29, ce qui porte à trente six le nombre des exécutions en 1988.
14 août 1989 : Pieter Botha, au pouvoir depuis 1978, renonce à ses fonctions de président de la République, après un conflit avec son successeur désigné, Frederik De Klerk. Ce dernier, devenu, le 15, chef de l'Etat par intérim avant d'être élu officiellement le 14 septembre, confirme ses intentions réformistes et sa volonté de supprimer l'apartheid.
Nelson Mandela et Frederik De Klerk
Frederik De Klerk a jadis défendu l’apartheid comme un moyen de faire cohabiter des communautés différentes. Mais, il est conscient de l’impossibilité de maintenir plus longtemps ce système.
Frederik de Klerk et Nelson Mandela . By World Economic Forum
Le 2 février 1990, il annonce au Parlement sa volonté de normaliser progressivement la vie politique sud-africaine. Il annonce également la légalisation des mouvements nationalistes noirs, dont le Congrès national africain (ANC), interdit depuis 1960, la libération des prisonniers politiques qui n'ont pas commis de violences, la fin de la censure et la suspension des exécutions capitales.
Le 11 février 1990, Nelson Mandela est libéré après vingt sept ans de captivité. Dès le 13 février, parlant devant plus de cent mille personnes au stade de Soweto, à Johannesburg, Nelson Mandela multiplie les appels " au calme et à la discipline ".
A partir du 15 octobre, l'abolition de la ségrégation raciale dans les lieux publics est votée par les députés. Cependant, le calme n’est pas revenu dans tout le pays. Le 15 août 1990, la police déclenche l'opération " Poigne de fer " dans les cités noires de la banlieue de Johannesburg pour mettre fin aux tueries qui ont fait près de huit cents morts en cinq semaines.
Mandela à 80 ans quitte la présidence. C'est Thabo Mbeki qui est élu en juin 1999. By World Economic Forum
Enfin le 30 juin 1991, l’apartheid est officiellement aboli avec la suppression des principaux textes qui la régissent.
A la fin de la même année, s’ouvre la convention pour une Afrique du sud démocratique.
Le 17 mars 1992, un référendum consulte les Blancs sur la poursuite des négociations : 68,7% répondent favorablement.
Pour récompenser leurs efforts, le militant noir Nelson Mandela et le président sud-africain Frederik De Klerk reçoivent conjointement le prix Nobel de la paix en 1993.
L’après-apartheid
Les Noirs représentent 75,2% de la population pour seulement 13,6% de Blancs.
Economiquement, l'Afrique du Sud garde un pied dans le tiers-monde. Sur quatre Noirs, un est au chômage. Deux Noirs sur cinq sont illettrés. Les Noirs ont un revenu dix fois moindre que celui des Blancs.
Le Cap, qui est la capitale législative est un bon exemple des inégalités qui règnent toujours : 60,7% des Noirs en 1996 étaient au chômage.
Soweto en 2005. By Iron Manixs
L’histoire mouvementée de ce pays a pris une nouvelle direction. Cependant, l'apartheid aboli et le suffrage universel instauré n’ont pas chassé du jour au lendemain les méfiances et les préjugés. Il y faudra plusieurs générations.
V.Battaglia (29.04.2006)
Références
Elsabe Brink; Soweto 16 June 1976. Kwela Books 2001
Leonard Thompson; A History of South Africa. Yale University Press 2001
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